La nudité politique des femmes n’est pas érotique
Nous, féministes, dénonçons la condamnation d'Eloïse Bouton, militante féministe reconnue coupable d' »exhibition sexuelle » par le tribunal de grande instance de Paris le 17 décembre. Cette ancienne membre de l'association Femen, qui avait mené une action individuelle a la Madeleine en décembre 2013 pour dénoncer les prises de position de dirigeants catholiques dans les débats sur le droit a l'avortement en Espagne, a été condamnée a un mois de prison avec sursis et a verser a l'Eglise 2 000 euros de dommages et intérêts et 1 500 euros de frais d'avocat.
C'est la première fois depuis quarante–neuf ans qu'une femme est incriminée pour exhibition sexuelle en France. Le dernier cas remonte a décembre 1965 et concerne une jeune fille reconnue coupable d'outrage public a la pudeur pour avoir joué au ping–pong seins nus sur la Croisette a Cannes.
Bien que certain–e–s d'entre nous ne soutiennent pas l'idéologie de Femen, nous nous étonnons de la sévérité de ce verdict quand nous savons que d'autres personnes qui usent de la nudité pour véhiculer un message politique n'ont pas été inquiétées pour ces faits.
Les militants écologistes qui manifestaient nus en novembre 2012 contre la construction de l'aéroport Notre–Dame–des–Landes, les intermittents du spectacle et le collectif Kamyapoil qui, totalement dévêtus, ont interpellé la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, sur la réforme de leur statut en juin 2014 et les membres des Hommen, mouvement masculin non mixte issu de la Manif pour tous, qui a l'instar de Femen, milite torse nu, n'ont pas été poursuivis pour « exhibition sexuelle ».
En revanche, le groupe féministe les Tumultueuses, qui faisait irruption la poitrine dénudée dans des piscines publiques réclamant le droit pour les femmes a se baigner seins nus au même titre que les hommes, se sont fait plusieurs fois interpeller pour exhibition sexuelle.
En outre, le mouvement Femen, né en France en 2012, n'a jamais été condamné pour exhibition sexuelle a l'étranger (Tunisie, Turquie, Ukraine, Brésil, Allemagne, Espagne…) où il organise des actions, torse nu, depuis 2007. Dans certains pays, ce mode opératoire a parfois permis de faire évoluer des lois obsolètes et inégalitaires.
Aux Etats–Unis, Sherry Glaser, fondatrice du collectif Breasts No Bombs a été poursuivie pour « exhibition sexuelle et trouble a l'ordre public » en novembre 2005 après une manifestation seins nus sur les marches du Capitole de l'Etat de Californie. En novembre 2008, la justice américaine lui a versé une indemnité de 150 000 dollars (environ 120 000 euros), afin de respecter le premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d'expression.
A New York, les femmes peuvent se promener seins nus dans les rues de la ville américaine depuis 2012, grâce aux performances de l'artiste Holly Van Voast et a la mobilisation de plusieurs mouvements défendant l'égalité dont Tera (Topfree Equal Rights Association ou Association du droit égal aux seins nus).
En Suède, les actions du collectif Bara Bröst en 2007 ont permis aux femmes de se baigner sans haut de maillot de bains dans certaines piscines publiques si elles le souhaitaient.
Si la décision de justice concernant Eloïse Bouton nous semble disproportionnée, elle est avant tout infondée. En effet, la loi française ne définit pas précisément ce qu'est une exhibition sexuelle hormis le fait qu'elle concerne des actes « imposés a la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public » (article 222–32 du code pénal). Les seins des femmes sont–ils un organe sexuel ? Un homme le haut du corps dévêtu tombe–t–il sous le coup de cette loi ? Aujourd'hui, il revient aux juges d'en décider.
Comme la loi sur le harcèlement sexuel, modifiée en août 2012 par le Conseil constitutionnel qui l'avait jugée trop floue et inconstitutionnelle, nous estimons que ces imprécisions rendent ce texte discriminatoire et ne placent pas les femmes et les hommes sur un pied d'égalité. Nous demandons aux législateurs et aux responsables politiques de se saisir de cette question et de faire évoluer cette loi, indigne d'une démocratie, et qui ne reflète plus notre société contemporaine. Il serait temps que France ne soit plus seulement le pays des droits de l'Homme mais des droits humains.
Signataires :Christine Bard, Karima Delli Députée européenne Europe Ecologie–les Verts (EE–LV), Isabelle Alonso Ecrivaine, Océane Rose Marie Comédienne et metteure en scène, Emilie Jouvet Réalisatrice et photographe, Christine Delphy Sociologue et chercheure au CNRS, Osez le Féminisme !, Didier Porte Journaliste et humoriste, Marie–Noëlle Bas Présidente des Chiennes de garde, Les Effronté–e–s, Virginie Despentes Ecrivaine et réalisatrice, Amandine Miguel Porte–parole de l'Inter–LGBT, Martine Billard Secrétaire nationale du Parti de gauche, Giulia Foïs Journaliste et auteure et Eva Darlan Comédienne.
Par un groupe de personnalités et d'associations