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Encore et toujours de la pub sexiste ! par Rachel Silvera dans Alternatives économiques

L’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP) a publié le 5 décembre 2023 le deuxième rapport de son observatoire de la publicité sexiste (OPS) intitulé « Le sexisme dans la publicité française 2022-2023 ».
Le premier rapport de 2021 qui a passé au crible des publicités sur toute la France pendant un an constatait déjà que le publisexisme était un problème aigu, touchant principalement les femmes et s’appuyant sur des mises en scène stéréotypées : des corps sexualisés, épilés, blancs, minces, jeunes, en position de soumission, de séduction, d’infantilisation, de travail domestique…
Ce nouveau rapport montre que les mauvaises pratiques constatées à l’époque restent de mise, voire se renforcent. L’autorégulation publicitaire est un échec : la publicité française contribue à perpétuer les stéréotypes et les injonctions de genre les plus ridicules et les plus violentes. L’association s’est appuyée sur 285 contributions envoyées en ligne (contre 165 pour la première édition) et tirées de différents supports (affichage extérieur, réseaux sociaux, télévision, prospectus, etc.).

Soulignons que la méthodologie proposée ne permet pas de dresser des conclusions quantitatives générales, car il s’agit de contributions libres, envoyées sur son site avec photos à l’appui, et non d’une recension de toutes les publicités diffusées en France.
La majorité des pubs dénoncées concerne les femmes, dans le secteur de l’habillement et de la parfumerie. Ces publicités s’articulent le plus souvent autour de stéréotypes mettant en scène des rôles genrés, avec de fortes injonctions à la minceur et à la jeunesse. Les corps et les situations sont sexualisés. La nudité des femmes reste ainsi très fréquente, conjuguée avec des situations absurdes, provocantes. Par exemple, une mannequin nue avec un flacon de parfum entre les seins ou encore une femme en body de dentelle rouge sous la neige, une paire de skis sur l’épaule…
Ces corps sont également souvent tronqués. Les marques de luxe recourent encore aujourd’hui au « pornochic ». Elles affectionnent ces situations pornographiques dans lesquelles les femmes sont offertes au regard et au toucher des hommes. L’usage de postures dites « d’autocontact » est un autre ressort classique de cette sexualisation : les femmes sont très fréquemment représentées en train de toucher diverses parties de leur propre corps, sans raison apparente et au prix de contorsions parfois grotesques.
Les trois critères de beauté (essentiellement rattachés aux femmes, mais pas uniquement) restent la minceur, la jeunesse et l’absence de poils. Et ce, malgré l’arrivée du « body positivism » – un mouvement social prônant l’acceptation de tous les corps – sur quelques défilés de grandes marques de prêt-à-porter ou de haute couture, ainsi que la mise en application de la loi du 6 mai 2017, visant à lutter contre la maigreur excessive des mannequins.
Davantage d’éthique dans les pubs ?
Les publicités ont-elles fait preuve de davantage d’éthique en 2022 et 2023 ? Ont-elles mis en avant de nouvelles marques plus vertueuses ?
« Dans les contributions reçues, nous remarquons assez facilement que les ressorts sont les mêmes aussi bien pour des produits que l’on appellera ‘conventionnels’, que pour des produits dits ‘éthiques’. En réalité, cela n’est pas étonnant car ce sont certainement les mêmes agences publicitaires qui se chargent des campagnes des uns et des autres », notent les auteurs du rapport.
Sur les 285 contributions analysées, seules 52 présentent au moins un·e mannequin « racisé·e ». Aucune n’affiche une personne non-valide, et une seule laisse entre-apercevoir la possibilité que le ou la mannequin appartienne à la communauté LGBTQIA+. Et même lorsqu’il s’agit de mannequins non blanches, les différences sont euphémisées (teint blanchi, cheveux lissés, prénom francisé…).
Le seul modèle de couple véhiculé est hétérosexuel, à l’exception des sites de rencontres qui visent à capter un public plus large. Et l’on retrouvera encore les modèles stéréotypés de rôles sexués concernant les familles : à elles la charge mentale de toutes les tâches domestiques, à eux la sécurité des lieux et la conduite de la voiture !
Comme de nombreux pays, la France a choisi de confier la régulation des contenus publicitaires au secteur lui-même, appliquant le principe « d’autorégulation » par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui reste un des principaux lobbys du secteur. L’ARPP édicte un certain nombre de règles déontologiques appelées « recommandations », pour une publicité « responsable » et « acceptable », « respectant la personne humaine ». Mais cette association ne peut se substituer à la justice ou représenter autre chose que ses adhérent·es.
Elle a cependant une délégation de service public lui permettant de donner un avis, favorable ou non, avant la diffusion de chaque publicité télévisuelle, l’Arcom (ex-CSA) étant chargée du contrôle après diffusion. Ces avis de l’ARPP ne sont nullement contraignants et ne sont donnés systématiquement que pour les publicités télévisuelles. Il n’y a aucun contrôle a priori pour les autres supports.
Or le rapport démontre le peu d’efficacité du jury de déontologie publicitaire (JDP) qui peut être saisi en cas de plaintes : si une publicité est considérée comme « irrespectueuse de la personne humaine », elle fera l’objet d’un avis défavorable sur le site du JPD (très peu vu), souvent bien après la campagne de pub concernée et sans aucune sanction.
Certes, les slogans misogynes explicites et formulés au premier degré sont rares désormais et les corps exposés sont plus divers. Il n’en reste pas moins vrai que les techniques d’image et les choix de mise en scène demeurent éminemment sexistes. Le publisexisme en sort renforcé, puisqu’il est moins facile à déceler, davantage banalisé et appliqué à de nouveaux groupes sociaux. Quant à l’usage du second degré, il n’édulcore pas les messages publicitaires, mais ajoute à leur pouvoir humiliant.
Face à cette violence banalisée, le rapport affirme que l’autorégulation du secteur publicitaire n’est pas une solution. C’est, au contraire, une des causes les plus importantes du problème.
D’autres mesures comme les mentions légales sont inefficaces. Ainsi, le fait de devoir mentionner « photos retouchées » ne s’applique qu’aux silhouettes des photos et non à celles des vidéos. Le « name and shame » – nommer les publicitaires pour les dénoncer – est lui aussi critiqué car cela revient le plus souvent à faire de la publicité gratuite aux annonceurs sexistes peu scrupuleux.
Ce rapport formule différentes propositions. Il s’agit de commencer par inscrire l’interdiction du sexisme en publicité dans la loi et créer une instance indépendante capable de la faire respecter, mais aussi interdire toute représentation sexualisée des corps (entiers ou morcelés, humains ou humanoïdes, réalistes ou caricaturés) dans la publicité.
Il faut enfin permettre à la fois de protéger le public des représentations sexistes et dégradantes, tout en recentrant les messages publicitaires sur ce qui est censé intéresser les consommateurs et consommatrices : des informations sur les produits.
Articulées aux revendications plus générales de RAP concernant la réduction de la pression publicitaire, ces mesures font converger la protection de l’environnement, la défense des consommateur·rices et la promotion de l’égalité des genres et des sexualités.

 

Rachel Silvera Maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre