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Car c’est bien de désir qu’il s’agit. lettre ouverte a Michel Schneider

 

par Mathieu

Ce texte reprend la lettre envoyée en réponse a l’article de Michel Schneider paru le 7 mars 2002.

Dans Le Monde daté du 7 mars 2002, on a pu lire un point de vue de Michel Schneider intitulé « désir, vous avez dit désir ? ».

Qu’on puisse être aussi savant et transformer son érudition en une telle bouillie n’est pas une très bonne nouvelle sur l’état des élites françaises. Toutefois ce n’est pas par esprit charitable que nous répondons ici a quelques points.

Tout commence mal, car en fait de désir le plus visible de tous est celui, egotique, de Michel Schneider, qui nous sert tout a trac qu’il est « psychanalyste, essayiste, conseiller maître a la cour des comptes ». D’emblée, on se trouve confronté a un élément récurrent de l’article, le recours a des arguments d’autorité. Haut fonctionnaire, l’auteur affiche un prestige inhérent a de telles fonctions élevées, et psychanalyste il jouit d’une légitimité a s’exprimer sur le désir, puisque peu de notions sont aussi centrales en psychanalyse. Mais qui parle ? Le fonctionnaire, qui se réveille et s’inquiète dans une période où le harcèlement sexuel est enfin montré du doigt ? Le psychanalyste, doté d’un regard extérieur ? Qui écrit ? On a surtout l’impression que c’est « un homme » qui écrit, et qui se sent visé comme tel, car pour le reste c’est bien une bouillie qu’il nous sert, et l’on prend peur en voyant de quelle manière il use de ses compétences tant juridiques que psychanalytiques. Reste l’essayiste, et celui–la n’est guère fréquentable, pour les raisons que nous allons détailler.

Tout l’article n’est que falsification, erreurs, analyses biaisées.

En bon manipulateur, l’auteur se refuse au préliminaire de toute argumentation digne de ce nom : définir les termes. D’emblée nous sommes conviés a découvrir une « tendance a criminaliser le désir ». Fort bien. Qu’un haut fonctionnaire s’emmêle les pinceaux entre le cas général, l’interdiction, et les cas particuliers, englobant toutes les infractions sous le label de « crime », est affreusement gènant. Qu’un jeune prof en sache plus long que lui sur le sujet devrait le faire rougir de honte. A moins qu’il ne s’agisse d’un procédé rhétorique, on parle de « criminalisation », terme fort, pour désigner une réalité plus nuancée et mieux la faire passer pour critiquable. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Mais on se demande qui est l’enragé, en l’occurrence. On appelle crime la catégorie d’actes les plus graves parmi ceux que la loi sanctionne.

Que je sache, le harcèlement sexuel n’est pas un crime mais un délit, catégorie certes plus grave que les contraventions mais moins que les crimes. D’ailleurs M. Schneider écrit bel et bien qu’il s’agit depuis 1992 d’un délit. Contrairement a M. Schneider, ces arguties juridiques nous paraissent très importantes, et ce n’est pas par hasard que circule actuellement une pétition demandant que les viols soient effectivement traités par la justice comme les crimes qu’ils sont et non comme de simples délits, ce qui est souvent le cas. Cette confusion a des fins rhétoriques est scandaleuse et l’auteur ne semble pas très informé des faits qu’il commente.

Et puis, qu’est–ce que le désir ? On ne le saura pas, on guette des éléments de compréhension qui ne nous sont jamais donnés, de telle sorte que nous sommes contraints de croire l’auteur sur parole sans pouvoir nous forger une opinion. Drapé dans sa légitimité de psychanalyste, il nous assène ses vérités sans nous autoriser a en connaître les fondements.

Mais on le comprend, car c’est ce flou qui lui permet de procéder a des amalgames. La phrase citée ci–dessus décrit ce qui serait non pas une police des moeurs mais une police des esprits. Criminaliser le désir, cela signifie rendre criminel des sentiments, des affects, des pensées. Le délit d’opinion n’existe pas en France. Il est indispensable de préciser ce que M. Schneider sait parfaitement mais qu’il tait soigneusement : ce que la loi réprime, ce sont des actes, et non pas des pensées ou des désirs. Une personne ayant des fantasmes de viol n’est pas passible de sanctions, mais une personne qui viole, elle, est condamnable, et c’est en raison de son acte qu’on la condamnera.

Le recours a l’expression « politiquement correct » se veut porteur de la même idée, qu’une police des âmes serait a l’oeuvre. Rien de plus creux pourtant que cete expression fourre–tout dont les Français ont fait un mot–talisman, qu’il suffit de brandir pour que l’opprobre soit jetée.

Tout en reconnaissant l’existence du harcèlement sexuel, l’auteur trouve qu’on n’avait pas besoin d’une loi spécifique pour le réprimer. Jamais il ne lui est venu l’idée de s’interroger sur les motivations de cette loi, sinon il saurait que les autres lois qui, selon lui, y suffisaient, n’ont jamais efficacement permis de protéger les victimes du harcèlement. Et c’est précisément en raison de raisonnements comme celui de M. Schneider qu’on a du voter une loi spécifique. C’est bien parce que les tribunaux ne voyaient pas le lien entre ces lois (sur la protection de la vie privée, etc.) et le harcèlement, qu’il a fallu mettre les points sur les « i » et obliger les juges a considérer que le harcèlement existe, en lui donnant un nom.

Et du harcèlement nous n’en saurons guère plus avec M. Schneider, une fois de plus. Il s’étonne et s’effraie que la loi condamne désormais le harcèlement entre collègues, y compris en l’absence de rapports hiérarchiques entre les collègues concernés. Harceler, c’est imposer a une personne, contre son gré, des comportements déplacés et déstabilisants. S’il s’agit de harcèlement sexuel, le motif sera en effet le désir sexuel du coupable pour la victime. Le harceleur ne tient pas compte des refus qui lui sont opposés et s’octroie sans consentement une place dans l’intimité de sa victime alors que cete place lui est pourtant refusée.

Y a–t–il besoin d’être le supérieur hiérarchique d’une personne pour lui faire des déclarations intempestives, pour lui faire des cadeaux et des invitations déplacées, pour l’assaillir de remarques, pour lui écrire, lui téléphoner, au travail et en dehors, pour des motifs extra–professionnels, bref, pour rendre la vie impossible a autrui ? N’y a–t–il qu’un supérieur hiérarchique qui puisse donner un coup de fil a un ou une collègue ?

La encore on nage en pleine confusion, parce que les termes ne sont jamais définis. Le harcèlement est une intrusion dans la vie privée, une gène, une perturbation, dont les conséquences psychologiques peuvent être graves.

Ce que sanctionnait la loi de 1992 n’était qu’un cas de harcèlement sexuel, une forme agravée de harcèlement assortie de chantage. Mais même sans chantage le harcèlement peut exister. L’abus de pouvoir est un facteur agravant le harcèlement, il ne constitue pas le harcèlement. On a pris la dommageable habitude de ne considérer comme harcèlement ce qui en est en réalité la partie la plus extrème. Aujourd’hui que la loi remet les choses a leur juste place M. Schneider s’étonne et crie a l’excès. Mais son indignation repose sur deux erreurs monumentales.

En disant que « jusqu’ici le harcèlement ne résultait pas de la proposition sexuelle en tant que telle, mais des éventuelles sanctions prises » contre la personne qui refuse cette proposition, M. Schneider se trompe sur plusieurs points. D’abord ce dont il parle n’est pas le harcèlement mais ce qui, dans la loi, était réprimé. Ce n’est pas parce que certaines formes de harcèlement n’étaient pas condamnées qu’elles n’existaient pas et n’étaient pas déja du harcèlement. Parce qu’une réalité n’est pas dénoncée dans le code pénal elle n’existerait pas ? C’est profondément stupide.

Ensuite, le harcèlement ne résulte pas d’une proposition ni d’une sanction, écrire cela est tout aussi stupide. Cela signifierait que 1/une « proposition sexuelle » est faite et refusée, 2/suite a ce refus une sanction est prise, 3/alors et alors seulement la personne qui a sanctionné un–e subordonné–e commencerait a la harceler, PARCE QUE ce subordonné viendrait d’être sanctionné par elle–même. Notre essayiste se prend les pieds dans la grammaire ou alors veut nous faire accroire que la victime du harcèlement serait plus coupable que le harceleur.

Les sanctions prises par le harceleur sont une étape du processus de harcèlement, elles sont partie intégrante du harcèlement. De même le harcèlement ne résulte pas de la « proposition sexuelle », c’est cette proposition elle–même, par son caractère répété et intrusif, qui constitue précisément le harcèlement.

M. Schneider prétend ici identifier la cause du harcèlement, et comme il la désigne il laisse entendre qu’elle ne serait pas a rechercher ailleurs. C’est pourtant assez simple a comprendre. Il y a harcèlement lorsqu’une personne ne tient pas compte des refus qui lui sont opposés et continue a vouloir imposer ses désirs CONTRE ceux de sa victime. La victime du harcèlement décline la « proposition sexuelle » qui lui est faite, elle oppose un refus, mais malgré ce refus la proposition persiste. C’est bien pour cela qu’il faut récuser l’expression de « proposition sexuelle », qui ne décrit pas la réalité. Le harceleur ne propose pas, il impose, et c’est précisément en cela qu’il esst un harcèlement. Le harceleur n’a que faire de ce que pense la personne qu’il harcèle, elle n’est que l’OBJET de son désir, et seule sa volonté a lui, le harceleur, compte a ses propres yeux. En cela il y a une similitude avec le viol et l’agression sexuelle, qui tous deux peuvent d’ailleurs être le stade ultime d’un harcèlement, mais pas nécessairement.

M. Schneider englobe sous un même mot le désir ET ses manifestations, ce qui est une insulte a l’intelligence. Ce faisant, il occulte tous les cas dans lesquels ces manifestations passent les limites de l’acceptable. Imagine–t–on quelqu’un se plaindre de la loi sur la tapage nocturne au prétexte qu’elle contreviendrait a la liberté d’expression. Eh bien non, la liberté d’expression n’implique pas le droit de crier dans l’oreille d’une personne ni d’empêcher ses voisins de dormir, cette distinction entre un principe et la manière de l’appliquer est limpide pour tout le monde. Pas pour M. Schneider. S’il s’interrogeait un tant soit peu sur ce que vit une victime de harcèlement il n’en viendrait pas a de si grossières erreurs de raisonnement. Mais voila, les victimes de harceleurs sont les grandes oubliées de son article, et l’on est bien en peine d’y trouver le moindre effort de compréhension de la personne qui, exposée au désir d’une autre, se voit sommée d’y répondre.

Pourquoi ? Le désir serait–il une valeur en soi, tellement supérieure qu’elle doive primer sur d’autres valeurs, pourtant essentielles, comme la dignité de la personne et le droit a l’intimité ?

Prétendre que le désir est par nature violent, c’est d’abord s’engager sur une terrain où la vérité n’est que relative et où les assertions n’ont pas lieu d’être. C’est également prendre le parti de légitimer la violence contre autrui. Ces propos sont d’une extrême gravité, et l’on voit mal ce qui distingue les propos de l’auteur d’une légitimation pure et simple du viol. En refusant de distinguer le désir de ses conséquences, en ne retenant qu’un mot auquel nous ne pouvons accorder qu’une connotation positive, « désir », M. Schneider nie les violences qui peuvent en découler. En somme, a ses yeux le harcèlement n’existe pas, seul le désir existe, et ce type de raisonnement est scandaleux. Il rappelle dangereusement les discours des violeurs et de leurs avocats, qui trop souvent laissent entendre que la victime aurait provoqué le coupable, voire qu’elle « n’attendait que ça ».

Une blague féministe nous éclairera tout ce que le dsicours de M. Schneider a de nauséabond.  » « Que dit un violeur au tribunal ? « C’était pas un viol, m’sieur le juge, un viol c’est quand on veut pas, et moi je voulais. »

Tout désir sexuel n’est pas réciproque, tout désir sexuel n’entraine pas sa réciproque. C’est justement de désir qu’il s’agit, M. Schneider, et le désir ça ne se commande pas, ça ne s’ordonne pas, et ce que fait un harceleur n’est que cela, un ordre, une sommation a désirer en retour.

Toute une imagerie machiste consiste a dire que « elles veulent toutes ça », « elles n’attendent que ça », idéologie de domination qui légitime tous les comportements et ne tient compte que des désirs des harceleurs. Des films pornographiques aux magazines grand public type FHM, Maximal ou Interview, en passant par mille publicités et autres discours publics, cette idéologie s’étale au grand jour et imprègne notre société. En répondant d’avance on s’évite ainsi de poser la question du consentement, ce qui revient a nier l’individu que l’on a en face de soi. Une ancienne publicité disait « vous dîtes non, mais on entend oui » : elle avait tort.

Mathieu Arbogast

Désir, vous avez dit désir ?

Article publié le 7 Mars 2002

PAR MICHEL SCHNEIDER

www.lemonde.fr/imprimer_article/0,6063,265507,00.html

Extrait : « MALAISE dans la sexualité ? Malaise dans la gauche plurielle qui contribue a réprimer davantage la sexualité, tout en clamant sa libération ? N’assiste–t–on pas de la part de la majorité en place a une sournoise tendance a criminaliser le désir ? Y a–t–il, comme le voudrait Sylviane Agacinski, la femme du premier ministre, une  » politique des sexes « , ou bien un inconscient désir politique de désexualisation de la société ? Evidemment, personne ne revendique une telle visée : la sexualité et sa libération font partie du socle du politiquement correct.[…] »