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Les Chiennes de garde montrent les dents !

Elles aboient pour faire respecter la dignité des femmes, explique Florence Montreynaud, fondatrice du mouvement.

Elles aboient pour faire respecter la dignité des femmes, explique Florence Montreynaud, fondatrice du mouvement.

La rue est à nous !

Juin 2001. Un samedi après–midi ensoleillé, rue de Rennes, à Paris. Sur le trottoir, devant la vitrine d’un magasin de chaussures, 9 hommes pieds nus piétinent une publicité en proclamant : « Plutôt marcher pieds nus que chaussés de ces chaussures ! » Des femmes distribuent des tracts et engagent la discussion avec les passant–es : sur une demi–page du Monde, une publicité pour la marque Weston montre une chaussure d’homme masquant en partie le corps à demi dénudé d’une femme dans une position suggestive ; pourquoi utiliser une image de prostitution pour donner envie d’acheter des chaussures ?
C’est une action de La Meute, le mouvement féministe mixte contre la publicité sexiste que j’ai lancé après celui des Chiennes de garde, qui défendent des femmes insultées de manière sexiste dans l’espace public.
Le matin même, le PDG de Weston tente, par téléphone, de nous faire renoncer à la manifestation, qui risque de nuire aux ventes. Je lui répète notre demande : un engagement écrit de s’abstenir de publicité sexiste.
Encore trois samedis après–midi à manifester devant son magasin, et la réponse arrive. L’agence de publicité perd le budget, et une autre agence est choisie, qui reçoit d’autres consignes. Résultat : année après année, La Meute félicite les chaussures Weston, car désormais leurs publicités montrent seulement … des chaussures.

Octobre 2008. Dans les vitrines du magasin d’informatique Surcouf, avenue Daumesnil à Paris, sont exposées des affiches où deux femmes en soutien–gorge, slip et bas noirs, déhanchées et cambrées, encadrent un adolescent en bermuda, l’air niais ; slogan : « Résisterez–vous à autant d’@vantages ? »
La Meute des Chiennes de garde (les deux mouvements sont réunis), qui s’apprête à manifester devant le magasin, adresse au PDG une lettre ouverte : « Nous vous demanderons des comptes sur cette utilisation de corps féminins comme appât pour vendre des marchandises, et sur cette représentation dégradante de vos clients. » Le succès est presque trop rapide : dès le lendemain matin, les affiches sexistes sont masquées, ce qui nous amène, à notre grand regret, à renoncer à la manifestation prévue.

En effet, manifester, l’un des droits fondamentaux des citoyen–nes dans une démocratie, est aussi l’un des plaisirs de l’engagement féministe. Pour les « dangereuses extrémistes » que sont les Chiennes de garde, cela signifie nous retrouver dans la rue entre féministes pour déployer nos superbes banderoles, notamment celle qui porte notre devise : « Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours » (phrase de Benoîte Groult), arborer nos masques de chienne (le mien est celui d’une caniche blanche), scander des slogans raillant les machos, et chanter des chansons humoristisques. C’est aussi parler avec des passant–es, en faisant un travail politique et pédagogique : expliquer en quoi une publicité sexiste imposée à tous dans l’espace public est une agression (il nous arrive d’agir de même dans le métro, après avoir taggé des affiches), montrer le danger de laisser se banaliser des images de prostitution, encourager une réaction collective, car « l’union fait la force ». Les Chiennes de garde ont ainsi de nombreux succès à leur actif.

Mettre les rieurs de son côté est déjà une réussite en France où, comme chacun sait, le ridicule tue. Tel fut le cas le 11 janvier 2008 quand nous avons manifesté devant le siège du Nouvel Observateur pour défendre la mémoire de Simone de Beauvoir : c’était le centenaire de sa naissance, et le magazine, longtemps engagé à gauche, avait cru bon de la représenter sur la couverture, nue et de dos. Les fesses (retouchées) d’une philosophe : comment mieux célébrer une pensée féministe dénonçant la femme–objet !
Nous avions préparé des pancartes portant chacune le nom d’un grand philosophe, et demandant à voir ses fesses. Imaginez l’hilarité des passant–es nous voyant brandir « On veut voir les fesses de Sartre » et d’autres grands hommes ! Pour faire bonne mesure, nous avions ajouté : « On veut voir les fesses de Jean Daniel », le dirigeant historique du magazine qui — devons–nous le regretter ? — ne nous a pas donné satisfaction…