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Avis du Jury de Déontologie Publicitaire sur la pub Total

Voici l’argumentaire que nous avons développé devant le Jury de Déontologie Publicitaire contre la publicité Total, vous trouverez l’avis du JDP en fin d’argumentaire.

 

Nous avons bien pris connaissance des arguments de l’annonceur.

Nous espérons bien qu’il n’avait ni l’intention ni l’objectif de réaliser une publicité sexiste, ce qui serait totalement contre-productif.

Je voudrais d’abord poser ici quelques questions :

Par ailleurs, l’annonceur se sert de notre page Facebook pour se rassurer à travers des posts qui, il ne doit pas pouvoir l’ignorer, sont très probablement issus de trolls. Nous sommes tout à fait coutumières de ce genre d’attaques lorsque nous stigmatisons un annonceur à travers une image sexiste. Et puis, évidemment, vous passez sous silence les nombreux autres exemples:

Maintenant, j’aimerais développer quelques arguments féministes concernant cette image :

D’abord, l’image est d’évidence différente de celles qui mettent en scène les hommes. Tout est accentué chez la femme, l’ouverture excessive de sa bouche avec du rouge à lèvres très brillant (photoshopée forcément vu la grandeur de l’ouverture), les yeux écarquillés et les bras levés, qu’on ne voit pas chez les trois hommes, non photoshopés eux.

Ensuite, la femme est jeune et sexy, cliché publicitaire bien connu, mais savez-vous que les automobilistes femmes sont de tous les âges et de tous les genres et qu’il est donc difficile de s’identifier à cette femme, pour la plupart d’entre nous.

Et puis, à quoi fait penser cette bouche rouge exagérément ouverte ? Moi, à l’affiche du film Gorge profonde (bouche très ouverte et lèvres rouge brillant). Et d’après quelques commentaires, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ont pensé à une fellation. Ces yeux écarquillés ? Ces bras levés en attitude de panique ? Nous pouvons imaginer qu’elle a une vision d’horreur et pourquoi pas un violeur ? Cette image peut tout à fait être vue comme anxiogène, cette image hurle. Et c’est dans la rue. Et une femme qui hurle dans la rue représente une violence sexiste. 

 

Je suis dans mon rôle de lire cette image d’un point de vue strictement féministe et surtout pas d’un point de vue mercantile. Je décrypte les images avec un regard qui interroge la culture sexiste et qui est un regard minoritaire et dissensuel, par différence avec le regard majoritaire et dominant dont le premier des privilèges est d’aller de soi et donc d’aller sans dire, le regard masculin hyper-visibilise et hyper-sexualise les attributs féminins, ici c’est la bouche ; le regard masculin n’ouvre aucun espace de questionnement des rôles de genre stéréotypés et reconduit les représentations majoritaires au lieu de les déjouer.

 

Enfin, pour revenir à une analyse de vos arguments concernant les posts, vous remarquez très précisément (franchement, je n’ai pas eu le temps ni l’envie de les compter) qu’il y en a eu 218 dont 127 ont partagé l’image, ce qui prouve donc qu’il y en a la moitié qui ont été suffisamment choqués par cette image pour la partager, sinon ceux qui sont contre ne la partagent pas !! Et avancer que les commentaires qui partagent notre interprétation de sexisme n’apparaissent que comme une simple posture idéologique alors que ceux qui ne partagent pas notre point de vue avancent de véritables arguments, est aussi vraiment spécieux et méprisant.

 

Je concluerai en affirmant que je viens régulièrement devant ce Jury de Déontologie Publicitaire en grande partie pour argumenter tout en faisant de la pédagogie face aux annonceurs pour leur faire comprendre qu’un grand nombre de femmes, surtout dans cette période d’après Metoo, n’en peut plus de voir des images sexistes et qu’elles représentent une grande partie de leur public. Enfin, je rappellerai utilement manifestement la résolution 1751 du Conseil européen titrée « Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias » qui spécifie depuis 2010 : « La représentation des stéréotypes sexistes varie de l’humour aux clichés dans les médias traditionnels, jusqu’à l’incitation à la haine et à la violence fondées sur le genre sur Internet. Les stéréotypes sexistes sont trop souvent banalisés et tolérés, au nom de la liberté d’expression. De plus, ces stéréotypes sont souvent subtilement véhiculés par les médias, qui reproduisent des attitudes et des opinions perçues comme la norme par des sociétés où l’égalité des sexes est loin d’être une réalité. De ce fait, trop souvent, les stéréotypes sexistes ne peuvent pas être attaqués en justice ou sanctionnés par les instances de régulation ou d’autorégulation, à l’exception des cas de violation de la dignité humaine les plus graves. »

 

JDP Avis TOTAL CLUB